L'année en rugby, c'est un peu comme l'année scolaire. Ni l'une ni l'autre ne coïncident avec celle du calendrier, puisque en gros cela commence avec l'automne et finit au printemps. Après tout, on comprend les hommes de la Révolution française qui eurent l'idée de faire débuter l'année légale autour du 20 septembre: ce n'était pas si bête.

Donc l'année 1937-38 avait été bonne: les cartons de Caillou, les percées de Dupin et d'Estoueigt, les coups de pied de Bergeron, les rushes d'Irumberry et de Suarès, la détermination de tous. L'A.S.B. était sortie des poules qualificatives et grâce à une victoire sur Agen accédait aux huitièmes de finale. Inutile de préciser, je pense, qu'elle opérait alors dans la division la plus élevée, dite à l'époque division d'Excellence.

Sans doute se faisait-on battre par le Racing-Club de France en quart de finale, mais l'Aviron lui-même, pourtant au sommet de sa fortune, était le même jour éliminé par Carcassonne. De sorte que de grands espoirs reposaient sur la saison suivante. En dépit de quelques départs, le quinze gardait belle allure: Villacampa à l'arrière; Mimiague, Benoît, Ecala, Gutierrez, Caillou, Mundulbetz en trois-quarts et en demis; Ducasse, Kervella, Durcudoy, Miranda, lrumberry, Rodriguez, Elissalde, Labourdette, Las­séougue, etc. chez les avants. Le capitanat était confié à Georges Bergeron. Est-ce la longue indisponibilité de celui-ci? Est-ce d'autres motifs? Est-ce la loi des impondérables? Toujours est-il que 1938-39 fut pour les Blancs bien décevante. Après trois défai­tes consécutives en matches officiels, Flag qui dra­matisait volontairement écrivait dans «Le Courrier » : «Il faut sauver le club de Saint-Esprit » Et la rubrique s'intitulait « Dans le gouffre... »

Dans les années les moins heureuses, il y a de bons moments. Je ne résiste pas au plaisir de l'évocation d'une certaine rencontre. Ça se passe à Tarbes, le 22 janvier 1939, contre le Stadoceste. A 2 minutes de la fin, l'A.S.B. est menée de 8 points. Ce qui arriva alors est assez extraordinaire. Dans l'espace de 120 secondes, deux essais transformés sont marqués aux Tarbais ahuris. Les Blancs gagnent 13 à 11. Il y a des gens à Tarbes qui en parlent encore. Ce sursaut n'évite cependant pas de devoir jouer le barrage. Il a lieu bien loin de Bayonne, à Montluçon, contre Bourg-en-Bresse. L'A.S.B. est victorieuse, elle reste en Excellence, «le club de St-Esprit » est sauvé. Et son équipe réserve a gagné cette année­là le championnat de Côte Basque.

C'est alors que voici la guerre, avec ses incidences sur la vie des clubs et les activités sportives, brisant bien des carrières prometteuses. Si Charles Ducasse se départissait de sa discrétion présidentielle, il pourrait là-dessus dire des choses... Et qui aurait pu prévoir surtout que, suite de la guerre, le nom même de l'A.S.B. serait rayé pendant presque un quart de siècle?

A Bayonne pourtant, le rugby est toujours là. Le 28 septembre, les Chasseurs (avec Mirande) rencontrent les Tirailleurs. Réuni à la mi-octobre, le Conseil d'Administration de l'A.S.B. décide de « maintenir la vitalité du club en constituant des équipes de rugby et en organisant des rencontres ». L'ouverture se fait quelques jours plus tard au Parc des Sports contre le Boucau-Stade. Les équipes sont obligatoirement composées de jeunes joueurs et aussi de toujours jeunes, dont Emile Toulet. En novembre, l'A.S.B. rencontre le quinze des Hussards de Tarbes, où figure Ecala. Le renfort de quelques permissionnaires (Mundulbetz, Lagouarde) lui permet de battre Soustons à Soustons en janvier 40. Elle va en quarts de finale dans une Coupe de Poilu organisée par les Anciens Combattants de 1914-18; et ses juniors gagnent au mois d'avril contre Saint­Jean-de-Luz la Coupe de l'Avenir.

La défaite militaire et l'armistice provoquent, sinon une rupture, du moins une autre coupure dans la vie du club. Bien entendu les prisonniers ont été nombreux. Tous n'ont pas la chance incroyable d'Irumberry qui ayant, au cours d'une inondation, repêché un Allemand d'ailleurs déjà noyé, se voit immédiatement libéré sur une décision signée de Hitler... Par chance aussi, quelques titulaires sont de retour: outre Irumberry, il y a VilIacampa, Benoît, Mundulbetz. Des jeunes talents montent, comme Fachan, avant très doué et excellent buteur. Puis, Borotra à Vichy ayant supprimé ce sport qui ressemble au rugby en ce qu'il se joue lui aussi avec un ballon ovale, d'anciens treizistes, et non des moindres, rentrent au bercail: Estoueigt, Cussac, Sanz, Etchart, Davant; et l'A.S.B. prend le nom d'Association Sportive de la Côte Basque. A la ren­trée de 41, l'équipe première est renforcée: Portet, superbe pilier; surtout derrière, avec Caillou, Gutierrez, Bellau, Ithurbide, qui compensent le départ de Cussac pour le B.O.

Toujours pas de championnat de France: d'ail­leurs n'avait-il pas été condamné en 1939, sacrifié au rétablissement du Tournoi des Cinq Nations? Or le championnat est restauré en 1942-43 (la France de Vichy ne ménage pas les Britanniques...), gagne par l'étincelant Aviron de Dauger, Celhay, Alvarez, Dubalen, Arotça. Mais ici, un événement important: la fusion de l'A.S.C.B. et de la Société Nautique sanctionne des liens très anciens d'amitié et entraîne un nouveau changement de titre. En effet le club issu de la fusion s'appelle maintenant Société Nautique de la Côte Basque. La vérité oblige à dire que ses commencements ont été honorables, sans plus. Il gagne le Tournoi d'Aquitaine où sont engagées les grandes équipes du Bordelais; en championnat il ne parvient pas à sortir de sa poule C. Mais 1943-44 va être sa grande année. Tandis que le quinze garde son ossature, que Cussac revient de Biarritz, de nouvelles valeurs s'affirment: le solide avant Martiquet, Audignon l'arrière qui s'intercale, Lorenzo. Match nul contre Pau, victoires sur Lourdes, sur Toulon à Toulon, sur Fumel à Fumel! Malheureusement, une courte défaite à Perpignan devant l'U.S.A.P., où Puig-Aubert, entouré de Desclaux, Trescazes, Crespo, entamait sa fulgurante carrière. Et on sait que c'est l'U.S.A.P., battant l'Aviron, qui fut en 1944 champion de France. Mais se souvient-on que l'on est passé alors à un cheveu d'une finale bayonnaise? Le jour où les nôtres jouent et gagnent à Fumel, l'U.S.A.P. rencontre Lourdes. Une défaite perpignanaise eût qualifié la S.N.C.B. pour la finale: Lourdes fut battu.

Pour une finale bayonnaise, il faudra attendre un peu et avoir un peu de patience. Mais voilà du moins quelques-uns des exploits accomplis en ces temps par le club toujours resté, sous différents vocables et au travers des fusions, le club de Bayonne Saint-Esprit, que le sachent, au seuil de la saison qui s'ouvre, les jeunes gens porteurs de son maillot. Qu'ils le sachent, et puis qu'ils s'en souviennent.

J.-L. GARET..