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LA "MANO NEGRA"

 

Les Bayonnais gardent le souvenir ému, de tous ces "hurluberlus" qui ont "fabriqué" leur folklore: Fôrts en gueule, pour la plupart, champions de la défense de la "veuve et de l'orphelin", ils avaient, en outre, une propension certaine à prendre le contre-pied de tout ce qui est injuste.

A la tête de ces vénérables disparus, je veux en citer un qui les dépassait tous d'une bonne pointure. Je veux parler du Chevalier Fernandez du Bastion. Sa silhouette Don Quichottesque se prêtait, déjà à cette forme de che­valerie, digne de la plume de Cervantes.

Il fallait le voir, au retour de la guerre de 14-18, dans son grand uniforme de zouave, remonter la rue Mau­bec, cette voie royale de Bayonne, digne pendant des Champs-Elysées, la chéchia, bien posée sur la tête, le regard profond et qui ne déviait jamais, la barbichette en bataille, il se rendait à son domicile, sis dans les Hauts de Saint-Etienne, où là, il faisait étalage de sa culture' 'maraîchère". Devant ses auditeurs - pour la plupart ses amis - il prônait les avantages de son "poi­reau géant", et des légumes tout aussi imposants, et tous les bénéfices qui pouvaient en découler pour la population bayonnaise.

Ses conférences avaient un succès fou, et pour pré­sident, le "crâne ancestral" de son aïeul, bien en évi­dence, sur la cheminée: cérémonial quelque peu maca­bre, mais néanmoins immuable.

Il eut son heure de grande gloire, Bayonne était en fête. Des dizaines de milliers de badauds encombraient les rues, et attendaient, avec une certaine impatience, le char du Cercle Taurin, clou incontestable de ces réjouissances. Il arriva enfin! Dû à l'imagination et au savoir-faire de son président du moment, le très regretté Alexis, et de son réalisateur Arnaud, il était tout simplement magnifique. C'était la grande époque. Dans son coin, la "cuadrilla" du Cercle, savourait, avec satisfaction, les effluves d'un temps chaud à sou­hait. Il y avait là l'éminence grise du groupement, aujourd'hui Président averti, à la voix profonde et grave; André et Robert, les deux frangins toujours au boulot, et pour qui une seule chose comptait: que ça marche bien; enfin et surtout mon ami Marcel, l'auteur de la comédie musicale "Les Parapluies de la Terre Sainte", qu'il a toujours dans ses cartons, et qu'il hésite encore à mettre en scène. Il y avait ceux-là et beaucoup d'autres; des amis venus d'outre-Pyrénées, et qui res­taient "béats d'admiration".

 

Juché, au faîte du remarquable ouvrage, le cheva­lier Fernandez du Bastion avait troqué son habit de zouave pour celui, tout aussi ou plus noble d'Empe­reur Romain. Son succès fut immense. Prenant le jeu à son compte, il fallait le voir saluer la foule d'un geste circulaire et imposant. Son regard "long" et froid ne s'arrêtait pas aux vociférations de la foule, il allait loin, beaucoup plus loin, dans l'infini.

Les fanfares et les cuivres, placés devant et derrière le char, faisaient entendre leurs vrombissements, tan­dis que les gens hurlaient à perdre haleine: "0 Léon, Léon, roi de Bayonne, roi de Bayonne, 0 Léon, Léon, roi de Bayonne... »

Impassible, dans sa belle robe blanche, la couronne en bataille - elle avait quelque peu glissé - le chevalier Fernandez du Bastion restait de marbre. Ce fut vrai­ment son moment de grande gloire, jointe à celle de ses amis du Cercle Taurin qui avaient insisté des jours et des jours pour lui faire accepter son rôle. Ce fut chose faite et tout à l'honneur des uns et des autres.

J'eus le plaisir de revoir, une dernière fois, le cher homme. C'était aux environs de l'année 1948. En été... Le soleil "parlait en basque", et écrasait tout sur son passage. Ma douce somnolence fut soudain surprise par le tambourinement de la porte d'entrée. J'allais ouvrir, et, devant moi, se présentait le Chevalier Fernandez du Bastion. Mis impeccablement, tiré à quatre épingles, le visiteur demandait audience à ma patronne de l'épo­que, ce qui fut fait sur l'heure. Il désirait que la bonne Dame, experte en dactylographie, "tape" l'énorme manuscrit qu'il portait sous le bras. Il s'agissait d'une société secrète, la "Mano Negra" , qui exerçait ses malé­fices sur tout. Elle avait ses attaches outre-Atlantique et s'attaquait notamment au Port de Bayonne. Il se déclarait, prêt à donner son corps et son âme, pour défendre les intérêts de sa "terre", et surtout des' 'peti­tes gens" qui l'animaient.

Les joues en feu, dévoré de passion, le Chevalier plaida longuement sa cause et finit par avoir satisfac­tion. La bonne Dame promit qu'il aurait son dossier, bien au point, dans les huit jours.

On ne sait plus ce qu'est devenue la "Mano Negra" de sinistre mémoire. Le Chevalier, lui, est depuis long­temps décédé.

Si j'évoque cet épisode, plaisant et tragique à la fois de la vie bayonnaise de l'époque, c'est qu'un incident de notre vie sportive est venu me le rappeler.

Pour ce faire, j'ai recherché mon vieil abécédaire ­un bien joli nom - pour retrouver les locutions propres à mes jeunes années.

Donc, cette date du 3 février 1985, avait été attri­buée à l'A.S. Bayonnaise. Par quel tour de passe-passe cet engagement a-t-il été escamoté, au bénéfice d'un autre, condamnant la pauvre A.S.B. à jouer ailleurs son très important match contre Condom?

Je dégage, tout de suite, la responsabilité de la Com­mission Municipale, un de ses membres m'ayant déclaré que ladite commission n'avait jamais été mise au cou­rant du différend qui intervenait! Dont acte. Mais alors qui? faudrait-il prendre un billet du Tac 0 Tac, et grat­ter, gratter, pour retrouver l'effigie du responsable? Raconter tout ce que je sais sur l'affaire me parais­sait indispensable. J'allais le faire, avec l'outrance qui me caractérise, quand mon Président me conseilla de laisser au vestiaire ciseaux, couteaux, rasoirs et autres instruments prêts à pourfendre les agresseurs! Pour­tant, je vous l'assure, "les dents m'en faisaient cinq sous..."

Résultat des courses, l'ASB a joué et perdu ce match très important pour elle, de la Coupe de France, sur le terrain de la rue Tour de Sault, stade sur lequel il est impossible de faire la moindre recette conséquente! J'avoue, bien volontiers, que si j'avais été une gente Dame de l'époque romantique de la Chevalerie, j'aurais confié, bien volontiers, les rubans de mon cœur - vert et violet - au noble personnage de l'Adour. J'étais complétement subjugué par le preux Chevalier Fernandez du Bastion, et mes nuits étaient hantées par des ima­ges irréelles et ... fantastiques.

Il est un de ces rêves cauchemardesques que je veux vous conter... C'était dans la semaine suivant la date du 3 février! Le Parc des Sports de Bayonne et ses dépendances étaient envahis par une foule hurlante, et les participants à la fête, masqués pour la plupart.

Il faisait très froid. Une nuit d'encre, éclairée seule­ment par les pétards d'une foule en délire. Fixée à la porte centrale, une main noire gigantesque semblait défier toute raison. Un "troupeau" de chauve-souris géantes, ajoutait encore à l'affreux de la scène ; les criailleries de ces diaboliques mammifères semblaient jeter un défi à toutes les bonnes gens venus en specta­teurs libres.

D'autres mains noires étaient dressées ça et là, notamment à l'entrée des grandes tribunes, et là-bas, tout au fond, n'hésitant pas à souiller les remparts de Vauban, où elle était solidement accrochée.

Ayant troqué son "heaume" de guerre par le célè­bre "plat à barbe", l'échancrure bien posée sur le devant, Fernandez du Bastion de l'Adour, scrutait l'horizon, pour savoir sur quel point attaquer...

Il était là, dans toute sa splendeur, suivi à distance plus que respectable, par son fidèle Sancho Pança, monté sur une bourrique efflanquée. Un Sancho Pança bien étrange, et qui avait, très exactement, la "bouille" de notre "Poupoule" local. "Poupoule", vous con­naissez? ce tribun, commissionnaire de son état, qui, ne manquait pas une seule occasion, lors des élections municipales, pour réclamer aux candidats, l'installa­tion d'un bistrot au milieu du Pont St Esprit. C'est mieux que l'octroi, disait-il... Louis, ce cher Louis, aujourd'hui disparu, m'apparaissait bien vivant, et plus en forme que jamais.

Hélas, un incident curieux l'éloignait de son Seigneur et Maître qui fonçait toujours à la recherche de cette "Mano Negra" qui osait, enfin, montrer sa face mor­bide. Coupé ainsi de son patron, le pauvre "Sancho­Poupoule" prit peur subitement. Il tomba de son "bourricot", puis se mit à genoux pour amorcer un large signe de la croix et commença: Au nom du Père et du Fils, et du... Le malheureux ne put jamais arti­culer le nom du troisième membre de la Sainte trilo­gie. Il l'avait oublié et pour cause...

Dépité, il prit alors la seule mesure qui s'imposait: la fuite. Pas assez vite pourtant, puisqu'un quidam hilare, gorgé sans doute de "piore", lui hurla en plein visage: « L'as bis passa le bechigue ? ? ? »

Tout comme un lièvre poursuivi par une meute de chiens de chasse, il "s'esbigna" dans les hautes herba­ges de l'enceinte du Parc des Sports pour ne montrer de temps à autres que ses longues oreilles et son "cul blanc" qu'il voulait agressif mais symbolique!

Je me réveillais en sursaut, "en nage", comme le dit le vocabulaire particulier, très usité en Terre Sainte, pour voir dans l'infini, le brave Poupoule se débiner de toute la vitesse que pouvaient lui apporter ses (peti­tes) jambes. Je l'entendis une derniere fois me dire: « Il est de plus en plus dur de lutter contre les moulins à vent. Mais comme l'a dit le "Mec" Arthur: « Je reviendrai».

 

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