Menu

 

LA MAMA

 

Au milieu de la décennie 1950, une petite ville pyrénéenne faisait bloc derrière son équipe de rugby qui avait décidé, au terme d'une longue éclipse de reprendre sa place en 1 ere division.

La saison se présentait bien, tout semblait aller dans le bon sens, même la blessure de l'arrière avait permis la révélation d'un junior qui allait faire son chemin grâce notamment à sa réussite dans les tirs au but.

Ce grand jour arriva, le rêve devint réalité, quelle explosion!

Après une semaine de liesse les dirigeants commencèrent à penser à la saison suivante au cours de laquelle il faudrait justifier ses ambitions dans la cour des grands. Des grands et des gros c'est surtout cela qui manquait. Des plans furent ébauchés vers les possibles.. .

Parmis ceux-ci un talonneur recommandé par un collègue qui l'avait apprécié lorsqu'il dirigeait l'entraînement des juniors de son village, c'est ainsi que v... accompagné d'un autre dirigeant fut chargé de cette négociation.

Fils unique il travaillait à l'exploitation agricole familiale située sur le plateau argileux, difficile et froid. La terre abandonnée entre les deux guerres avait été reprise par un couple d'Italiens dont il ne restait que l'épouse, son fils marié et le petit-fils, talonneur à ses heures.

 

Le père écouta avec bienveillance, il s'intéressait aux sports et à l'activité de son fils. Mais il n'eut pas le loisir de donner son avis car sa mère la "Mama" juga qu'il était temps d'intervenir.

- J'ai écouté que vous iriez bien loin: Paris, Toulon, Bayonne, comment faites-vous? ça ne se passe pas le dimanche après-midi comme ici ? Il fallut convenir que souvent les départs se faisaient les samedis soirs et les retours le lundi matin.

 

- Vous vous imaginez que nous pouvons nous passer du "petit" aussi longtemps? Nous venons d'agrandir l'exploitation pour lui assurer du travail, il n'est pas question qu'il passe son temps en voyages. Ici, le dimanche soir il peut jouer "au ballon" avec l'équipe du village, il n'y a pas de raison que ça change!

C'était l'impasse.

 

La semaine suivante, discrètement, le "petit" fit savoir que la position pourrait évoluer.

Nouveau contact suivi peu après de la signature.

 

Rapidement le "petit" s'avéra le fer de lance du pack, rablé, mains et bras énormes, malgré son peu d'assiduité aux entraînements il affrontait sans complexe les tenors de l'époque.

V... que je questionnais sur les conditions étonnantes de la signature évitait de répondre. Un jour cependant après les recommandations d'usage il me raconta la 2e entrevue avec la "Mama" devenue le véritable interlocuteur .

 

Elle débuta l'entretien ainsi:

- Depuis votre venue le "petit" est triste, il voudrait jouer avec vous mais ses occupations ne lui permettent pas, sauf s'il travaillait plus vite...

 

- Cela ne tient qu'à lui.

- Non cela ne tient qu'à vous. Pour qu'il travaille plus vite, il lui faudrait un tracteur que nous ne pouvons pas lui payer, mais peut-être que vous...

 

- C'était le début de la mécanisation agricole, l'achat d'un tracteur semblait hors de nos moyens, puis les choses se sont arrangées. Nous ne le regrettons pas. C'est à cette affaire que je pense lorsque je lis que l'international Board va étudier le "manque à gagner" . Il faudra de nombreuses réunions, d'importants personnages pour aboutir à une amorce de solution alors qu'il y a plus de 30 ans la "Mama" avec son seul bon sens avait mis le problème en évidence et proposé la solution.

 

R.BRUNEAU