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1996-1997
   
         
La Sagesse de l'ancien

De retour au pays pour son congé Jean Pierre se faisait une joie d'aller passer la journée chez son oncle Maurice retiré dans son petit village du sud des Landes. Dans la famille, Maurice était reconnu comme ayant bien réussi dans deux domaines l'enseignement et l'arbitrage (en rugby bien sûr).
L'arbitrage constituait pour Jean Pierre un problème d'actualité. Depuis trois ans il le pratiquait en Ile de France sans y trouver les satisfactions qu'il en attendait. Ce qui le tracassait c'était de se voir contesté sur le terrain et même après match par les dirigeants de l'équipe perdante. Il en arrivait à douter de sa capacité àréussir dans l'arbitrage.
Après un excellent repas la conversation s'orienta vers ses activités sportives en Ile-de-France, sur ses progrès espérés de directeur de jeu. Non ce n'était pas la réus¬site attendue? Jean Pierre exposa ses démêlés difficiles dans les rencontres qu'il venait de diriger. Il fit part de ses doutes sur l'intérêt de poursuivre sa mission.
Maurice comprenait, repensait à ses débuts; lui aussi avait connu des périodes de doutes.
Après un long silence il s'efforça de situer le débat sur le plan général:
« - Tu dois savoir que tu es entré dans une longue tradition, une suite de générations d'anciens qui ont eu souvent eux aussi des débuts difficiles avant de s'épanouir dans un rôle adapté à leur tempérament, à leur conception du jeu et de s'appuyer davantage sur l'esprit que sur la lettre.
- Dans un jeu collectif la difficulté de l'arbitrage est proportionnelle au nombre de participants, alors avec trente joueurs. . .
- Je suis content d'écouter ces vérités, mais il m'arrive de me rendre compte qu'à un moment donné je n'ai pas pris la bonne décision et cela me tracasse.
- Bien sûr tu peux te tromper; de bonne foi, mais c'est la situation qui veut ça ; il faut décider sans arrêt.. faute ou pas? En contrepartie ta décision est irrévocable, c'est une base incontournable qui ne date pas d'hier. »
Au cours d'une rencontre Cardiff contre Swansea l'arbitre accorda un essai qui décidait de la partie, alors que la majorité des dirigeants affirmait qu'il n'était pas valable, il n'y avait pas de juge de touche à ce moment là ; finalement l'arbitre revint sur sa décision et refusa l'essai. Le comité du Pays de Galles se saisit de l'affaire et décida de valider l'essai en précisant: «quand l'arbitre prend une déci¬sion il ne peut revenir dessus ». Cela se passait en 1892 et cette règle reste toujours intangible.
« - Sauf pour ceux qui tous les dimanches remettent en cause une ou l'autre de mes décisions et me gâche la soirée.
- Il faut en prendre son parti, bien te mettre en tête que ceux qui contestent ne connaissent en général pas les règles et compromettent l'esprit des créateurs de notre jeu qui ne faisaient appel à l'arbitre, resté sur la touche, que pour les cas douteux.
Par la suite ils entrèrent sur le terrain, arbitrant à la voix,. puis un jour un arbitre néo-zélandais grippé utilisa le sifflet qui lui servait à rappeler son chien et depuis notre tâche est plus facile.
On s'éloigne de plus en plus de l'esprit des créateurs, aujourd'hui on parle de prendre à témoin les caméras de télévision, où va-t-on?
- Cette hauteur de vue me conforte aujourd'hui, mais demain je serais toujours aussi sensible si bien que je me surprends à pénaliser plus facilement les contestations...
- C'est humain, même si c'est inconscient, peu y échappent, ça toujours été comme ça, le seul remède c'est de sanctionner ce que certains font d'entrée.
- Je n'ai jamais compris que les entraîneurs laissent leurs joueurs se mettre à dos le directeur de jeu qui devrait être un saint pour ne pas s'irriter de voir contester alors qu'il fait de son mieux pour que trente garçons puissent faire un bon match.
- Je comprends tes problèmes mais maintenant tu vas attaquer ta quatrième année d'arbitrage, tu prendras de l'assurance et les joueurs qui te sentiront plus solide te respecteront davantage et tu finiras par imposer ton style et y prendre plaisir. »