Un de mes vieux amis parisiens vient de m'écrire; aux sujets habituels, il a ajouté un paragraphe où il exprime une grande satisfaction de voir enfin un club parisien donner des leçons de rugby "aux prétentieux provinciaux sudistes". Pour lui, le Stade Français est un modèle qui est chargé de nous enseigner le rugby du futur. Il me dit son espoir de voir "ton A. S.B. en prendre de la graine...".
Notre vieille amitié nous autorise de telles taquineries mais, néanmoins, j'ai été agacé et, dans ma réponse, j'ai voulu lui faire connaître notre conception de ce sport à l'AS.B.
". .. et merci mon cher Robert pour tes recommandations sportives.
Bien sûr, je comprends ta satisfaction parisienne de voir le Stade Français devenir un des phares du rugby, mais, vu d'ici, il ne s'agit pas d'une révolution préparant une ère nouvelle. Pour nous ce n'est qu'une période favorable dans la vie d'un club qui, comme les autres, a connu et connaîtra des hauts et des bas. . .
A l'A.SB., nous avons une vision plus modeste mais plus sereine de l'avenir du rugby qui nous concerne.
Nous n'oublions pas que dans le passé, ce club si brillant actuellement a été notre adversaire malheureux. En 1920, les deux clubs se sont rencontrés pour une finale aller-retour de deuxième série, après avoir obtenu le nul à Paris, l'A. S.B. battait le Stade par 6 à 0 (deux essais) cela se passait le 8 mai 1920.
Aujourd'hui, le club parisien domine le rugby de l'élite. Cela se passe à un niveau qui ne nous concerne pas. Nous apprécions cette réussite qui n'eut été possible actuellement que dans les grands centres avec des sponsors permettant des budgets vertigineux et des salaires élevés pour les joueurs.
Nos éducateurs, nos dirigeants sont bien conscients que tout. cela est fragile car les ressources viennent de l'extérieur sans garantie de continuité.
Nous pensons aussi au sort qui attend les joueurs en fin de carrière pour retrouver une activité professionnelle.
Ce professionnalisme en rugby est une activité nouvelle dont on ne perçoit pour l'instant que la face la plus brillante. ... _..
Dans un club comme le nôtre, nous pratiquons une autre philosophie, notre seule richesse provient de l'adhésion complète de nos sociétaires, de l'attachement à nos couleurs, à nos traditions, à un climat fait d'estime et d'amitié.
Notre ambition est de continuer à offrir aux jeunes Bayonnais un cadre pour toute une vie sportive. Presque tous nos éducateurs et nos dirigeants ont connu l'A. S.B. par l'Ecole de Rugby et après une carrière sportive plus ou moins réussie, il ont continué à participer en attendant de rejoindre les anciens.
Cette continuité est le ciment de notre groupe, la raison de l'attachement définitif au club.
Dans la chaude amitié des après-matchs à la Casemate, nos joueurs n'iraient pas penser qu'ils seraient plus heureux à Paris dans un grand club avec toutes ses contraintes. Ils se diraient que l'A. SB. leur apporte ce qui est possible sans les déraciner, être Champion de France en Elite 1 c'est formidable, mais hors du réel, tandis qu'être Champion de Côte Basque-Landes c'est une réalité qui doit faire rêver bien des rugbymens dans l'Hexagone.
Pour eux, le meilleur club, c'est le leur... . .
Tu voudras bien excuser mon long plaidoyer qui n'a peut-être pas réussi à te convaincre, mais soit certain que la réussite des grands ne nous empêche pas de bien vivre notre rugby.
A bientôt de te lire."

Raymond BRUNEAU